Commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 novembre 2022


Commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 novembre 2022

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Monday 2022 November 28

Une ambiguïté à double tranchant

Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 novembre 2022, FS-B, n°20-20.031

Résumé
Par un arrêt en date du 9 novembre 2022, la Cour de cassation s’agissant de l’étendue de la preuve qui pèse sur la banque tirée dont la responsabilité est recherchée en cas d’encaissement d’un chèque falsifié, précise :

"s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur. »

Ainsi, engage sa responsabilité la banque qui, à défaut de restituer le chèque litigieux au tireur, ne parvient pas à démontrer que ce dernier n’était pas affecté d’une anomalie apparente.
Si les faits jugés par la Cour de Cassation sont classiques, la solution retenue ne l’est cependant pas.
En l’espèce, un chèque, émis par une société (le tireur du chèque), avait été frauduleusement encaissé par un tiers à la suite d’une falsification du nom du bénéficiaire initial par un grattage. Arguant du manquement à son obligation de vigilance, le tireur a assigné sa banque (le tiré) en réparation de son préjudice laquelle a, par la suite, appelé la banque présentatrice en garantie.

Les principes de droit relatifs à la responsabilité de la banque, invoqués par cette dernière, étaient également classiques, et conformes à la jurisprudence constante de la Cour de Cassation : la banque ne peut voir sa responsabilité engagée que « si les falsifications du chèque sont aisément décelables par un employé de banque normalement avisé », la banque n'étant tenue de vérifier que « la régularité apparente » du chèque, et de détecter « les anomalies aisément décelables, sans avoir à procéder à un examen approfondi du chèque ».

La particularité venait cependant du fait que, ne disposant que d’une photocopie du chèque, en noir et blanc et de mauvaise qualité, la Cour d'Appel estimait ne pas être en mesure d’apprécier si le chèque litigieux était ou non affecté d’une anomalie apparente, faute de disposer de l’original. En effet, la banque avait appliqué les règles relatives à l'Echange d'Images Chèques (EIC) qui stipulent que « les chèques sont conservés pendant 60 jours calendaires, et au-delà seule l’image-chèque en copie recto-verso est conservée, l'original étant détruit ».

En effet, la banque avait appliqué les règles relatives à l'Echange d'Images Chèques (EIC) qui stipulent que « les chèques sont conservés pendant 60 jours calendaires, et au-delà seule l’image-chèque en copie recto-verso est conservée, l'original étant détruit ».

Dès lors, comme l'avait souligné l'Avocat Général dans son Avis, la situation de l'émetteur du chèque était paradoxale et « particulièrement rigoureuse :  ayant émis valablement un chèque, mais n'étant plus en sa possession, c'est à lui de rapporter la preuve de ce que l'anomalie d'une fraude postérieure à l'émission du chèque est apparente. Or cette preuve, dont l'administration parfaite serait la production de l'original du chèque, est détenue par la banque tirée dont la responsabilité est recherchée par l'émetteur du chèque ».

Dans ce contexte, la Cour d'Appel de Paris (Pôle 5 - Chambre 6) par un arrêt en date du 20 mai 2020 (RG 18/03330) a condamné la banque tirée estimant que « il convient, lorsqu’il est démontré, comme en l'espèce, que le nom du bénéficiaire initial a disparu par grattage et qu’un autre a été substitué, de présumer que l'anomalie était apparente, non seulement au regard du constat selon lequel rares sont des falsifications « parfaites », mais surtout parce que le processus de l'image-chèque ayant été créé dans le seul intérêt des banques, elles doivent en assumer le risque surtout dans l'hypothèse où elles ne sont même pas en mesure de produire une photocopie couleur de qualité ».

Cette argumentation audacieuse fondera les pourvois formés par les banques sur la base d’une violation de la loi par les juges du fond. Ces dernières soutiennent qu'en exécution de leur obligation générale de vigilance, elles ne sont tenues de détecter que les seules anomalies apparentes affectant le titre, aucune anomalie n'étant présumée apparente, même lorsque la preuve produite est de mauvaise qualité.

Les moyens soulevés par les banques n’emportent pas la conviction de la Cour de Cassation qui confirme la solution des premiers juges (en la modérant cependant, en rappelant qu'il « incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié »), et fait peser sur la banque la preuve que le chèque est dépourvu d'anomalie apparente, lorsqu'elle ne peut restituer l'original du chèque.

Par cette décision, dont l'importance est soulignée par sa publication au Bulletin, mais également aux Lettres de la Chambre, la Cour de Cassation a peut-être instauré dans les faits un revirement général et complet de la charge de la preuve en matière de chèque falsifié.

En effet, avec l'adoption par l'ensemble du monde bancaire du système « image chèque », les banques ne sont pas en mesure actuellement de restituer au tireur l’original du chèque frauduleux, et il leur appartiendra donc dorénavant de démontrer qu’un chèque falsifié n’est pas « affecté d’une anomalie apparente ».

Par Valery Diaz-Martinat, Associée et Jean-Baptiste Morillot, Counsel.